(Ottawa) La ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, largue la cible d’un déficit sous la barre des 40 milliards de dollars en 2023-2024, un des trois objectifs financiers qu’elle avait promis de respecter dans son dernier budget, déposé en avril.

Ce qu’il faut savoir

  • La ministre des Finances va présenter son énoncé économique lundi ;
  • L’objectif de maintenir le déficit sous la barre des 40 milliards en 2023-2024 est jeté aux orties ;
  • Le Parti conservateur accuse le gouvernement Trudeau de proposer un déficit « gonflé aux stéroïdes ».

La ministre s’accroche maintenant à un autre ancrage financier afin de rassurer les contribuables ainsi que les marchés et d’éviter une décote des agences de notation : maintenir le ratio de la dette en proportion du PIB sur une trajectoire descendante à partir de cette année.

En conférence de presse, mardi, Mme Freeland a assuré que cet objectif sera respecté pour l’exercice financier 2023-2024 et l’exercice financier en cours quand elle déposera son énoncé économique de l’automne le lundi 16 décembre.

Dans son dernier budget, Mme Freeland avait aussi établi un troisième ancrage financier : maintenir un ratio du déficit au PIB sur une trajectoire descendante en 2024-2025 et maintenir les déficits en dessous de 1 % du PIB en 2026-2027 et les années suivantes.

Prudente

Interrogée à plusieurs reprises sur la cible d’un déficit sous la barre de 40 milliards de dollars, la ministre Freeland a été prudente et n’a plus évoqué cet objectif dans toutes ses réponses.

J’ai choisi mes mots avec soin, car il est important d’être clair avec les Canadiens et avec les marchés financiers. Je m’attends donc à ce que, lorsque nous déposerons lundi l’énoncé économique de l’automne, le ratio dette/PIB pour 2023-2024 que nous avons présenté dans le budget 2024 sera respecté.

Chrystia Freeland, ministre des Finances

« Notre ancrage financier est le ratio de la dette au PIB qui diminue. C’est très important. C’est une façon de démontrer que les finances publiques sont viables. […] Lorsque je vais dévoiler les chiffres lundi, je vais démontrer que le ratio de la dette/PIB va être respecté », a-t-elle aussi insisté en réponse à une autre question.

L’abandon de la cible d’un déficit de 40 milliards de dollars ou moins a fait dire au chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, que le gouvernement Trudeau s’apprête à annoncer un déficit « gonflé aux stéroïdes » tandis que des élections fédérales se profilent à l’horizon.

Depuis leur arrivée au pouvoir, en 2015, les libéraux de Justin Trudeau n’ont jamais présenté un budget équilibré. Au cours des dernières semaines, le Parti conservateur a talonné la ministre Freeland au sujet de la taille du déficit du dernier exercice financier. La ministre a esquivé toutes les questions à ce sujet, se bornant à dire que les finances publiques du gouvernement fédéral sont « viables » et que le Canada présente le taux d’endettement par rapport au PIB le plus bas des pays du G7.

Freeland « a perdu le contrôle », selon l’IEDM

Dans un rapport publié en octobre, le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a d’ailleurs affirmé que le gouvernement fédéral a enregistré un déficit de 46,9 milliards lors du dernier exercice financier, qui a pris fin le 31 mars.

Selon l’Institut économique de Montréal (IEDM), les propos de Mme Freeland démontrent que le gouvernement Trudeau a perdu le contrôle des finances publiques.

« Encore une fois, le gouvernement fédéral n’arrive même pas à respecter les objectifs les plus modestes de contrôle du déficit », a affirmé Emmanuelle B. Faubert, économiste à l’IEDM. « Ce que la ministre des Finances Chrystia Freeland nous dit aujourd’hui, en affirmant que le déficit dépassera 40,1 milliards de dollars, c’est qu’elle a perdu le contrôle sur les dépenses. »

Des frictions avec le bureau du PM ?

Devant les journalistes, la ministre des Finances a aussi affirmé que les informations selon lesquelles il y a des frictions entre son bureau et celui du premier ministre Justin Trudeau au sujet des dépenses du gouvernement sont « des rumeurs » qui ne vont pas la distraire de son travail de grande argentière du pays.

PHOTO JUSTIN TANG, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Justin Trudeau et Chrystia Freeland lors de la présentation du budget en avril 2024

Citant des sources anonymes, The Globe and Mail a rapporté mardi que les tensions sont de plus en plus palpables entre le bureau de Mme Freeland et celui de M. Trudeau au sujet de la décision du gouvernement d’offrir un congé de TPS durant deux mois, entre le 14 décembre et le 15 février – une mesure qui coûtera au moins 1,5 milliard de dollars au fisc canadien.

Une deuxième mesure proposée – l’envoi au printemps d’un chèque de 250 $ à tous les travailleurs ayant empoché en 2023 un salaire net inférieur à 150 000 $ – a été mise de côté après une levée de boucliers des partis de l’opposition à la Chambre des communes. À elle seule, cette mesure coûterait 4,7 milliards.

Selon The Globe and Mail, les fonctionnaires du ministère des Finances s’opposaient à ces deux mesures, estimant qu’elles étaient coûteuses et peu avantageuses sur le plan économique.

« C’est un très grand privilège de servir les Canadiens et les Canadiennes en tant que ministre des Finances et en tant que vice-première ministre dans le cabinet du premier ministre Justin Trudeau. […] Je suis consciente chaque jour que c’est un grand privilège », a affirmé Mme Freeland avant de prendre une pause de quelques secondes.

« Je reconnais aussi la réalité, que les Canadiens et Canadiennes et notre pays font face aujourd’hui à de grands défis, de grands défis domestiques et de grands défis dans le monde. Je suis concentrée sur ces défis. Je suis concentrée sur mon travail de servir les Canadiens et Canadiennes, et pas des chicanes politiques », a-t-elle ajouté.

Le Parti conservateur a fait ses choux gras des révélations du Globe and Mail durant la période de questions mardi.